En 1937, déjà, on en parlait à Marseille. Pour remercier les Français Musulmans qui avaient combattu pour la France durant la Première Guerre Mondiale, le maire de la ville, Henri Tasso, avait demandé à l'architecte Gaston Castel de se pencher sur un projet de grande mosquée pour Marseille.
Une initiative applaudie de toutes parts, que ce soit du côté de la communauté musulmane que de celui des pouvoirs publics et du mouvement associatif.
Mais les évènements allaient se succéder, qui firent tomber le projet dans les oubliettes.
En premier lieu, il y eut, le 28 octobre 1938, le dramatique incendie des Nouvelles Galeries, qui allait engendrer la démission de la municipalité et la mise sous tutelle de la ville. Puis survint la seconde guerre mondiale, suivie de relativement peu par le conflit algérien.
Le projet refit surface dans les années 70, à l'initiative de Gaston Defferre. Mais la plaie algérienne était encore trop mal fermée, et l'on ne parla plus, durablement cette fois, d'une grande mosquée à Marseille.
Ce n'est que sous l'impulsion du maire (div.g) Robert Vigouroux et de l'association Marseille-Fraternité que l'idée d'une grande mosquée refit surface.
En 1996, le mufti de Marseille, Soheib Bencheikh, présenta une maquette et demanda à la municipalité de lui trouver un terrain.
Cinq ans plus tard, le nouveau maire, Jean-Claude Gaudin, annonça qu'il envisageait d'ériger le lieu de prière et un centre culturel sur une friche des quartiers nord de la ville, en lieu et place des anciens abattoirs de Saint-Louis, non loin des cités ou vivent une grande partie des quelque 220.000 Musulmans de Marseille.
Un comité de pilotage fut instauré pour mieux appréhender la situation. Mais rapidement se firent jour des divergences entre le Collectif des Associations Musulmanes de Marseille (CAMM) de Soheib Bencheikh et la Coordination des Musulmans de Marseille (COMUM), dirigée par le cheikh Mohamed Yassine et l'imam Zerfaoui.
En 2003, le directeur d'Islam Viandes, El Hassan Bouod, réussit à convaincre les deux parties de trouver un accord, mais celui-ci n'eut qu'un temps et il fallut attendre 2005 pour voir l'imam Abderrahmane Ghoul prendre la tête du Conseil Régional du Culte Musulman (CRCM)) et amener à la fondation de l'Association Mosquée de Marseille, qui permit de relancer les négociations avec la mairie.
Et c'est ainsi que le conseil municipal vota le 19 juin 2006 le projet de construction (contre, bien sûr, l'avis des élus du FN. Car malheureusement il y en a à Marseille qui, et c'est un des grands sujets de satisfaction de Jean-Claude Gaudin, n'ont jamais voix au châpitre, sauf lorsqu'il s'agit de débiter quelques niaiseries).
L'association prit livraison du terrain en 2007 et en mai 2010 fut posée par le maire de Marseille la première pierre d'un édifice devant initialement s'étendre sur 2500m². Mais il n'y a pas eu (et peut-être n'y aura-t-il jamais) de seconde pierre.
En effet, de problèmes financiers en recours en justice, le projet est resté en l'état. Une situation qui divise un peu plus la communauté musulmane de Marseille. Ses leaders en tout cas, car les musulmans "de base" ne semblent nullement affectés par l'abandon du projet.
Comme en témoigne Ahmed Aghbar, un commerçant tunisien du centre-ville, "vous savez, quand la grande mosquée sortira de terre, les poules auront des dents! Mais de toutes façons, les gens s'en foutent. Ils ont leurs habitudes".
Et c'est vrai, depuis des décennies, les Musulmans de Marseille fréquentent de petits lieux de culte aménagés dans des halls d'immeubles ou des arrière-boutiques de magasins, voire même chez des particuliers Et ils s'y sentent bien.
Les plus désenchantés par l'abandon probable du projet sont peut-être les nazillons du FN qui seront privés du plaisir de tagger quelques insanités sur les murs d'un édifice musulman...
Thierry Cayol