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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 11:07

La parution d’une sorte de Who’s Who des collaborateurs de Slobodan Milošević de 1987 à 2000 met la Serbie en émoi. Regroupant un millier de noms, l’ouvrage publié par le Fonds Biljana Kovačević Vučo, connu pour ses positions antinationalistes et démocratiques, fait l’objet de vives critiques.

Un peu plus de dix ans après la chute de Milošević, cette controverse rappelle que les plaies du passé ont bien du mal à se refermer.

 

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Slobodan Milošević célèbre le 600e anniversaire de la bataille de Kosovo Polje, le 28 juin 1989

La liste d’un millier de noms suivis de biographies succinctes publiée dans le livre Abuser des institutions (Qui était qui en Serbie de 1987 à 2000) ? a entraîné des débats plus animés que ses rédacteurs ne l’espéraient.

 

Dušan Bogdanović, du Fonds Biljana Kovačević Vučo, et son équipe ont mis trois ans pour recueillir les informations sur l’identité des dirigeants des institutions de l’époque Milošević.

 

L’idée de Dušan Bogdanović était de répertorier les personnes qui occupaient les postes-clés à l’époque, sans qualifications ou explications additionnelles. Les auteurs ont souligné à plusieurs reprises qu’il était temps de commencer le débat sur la participation active de certains dans l’exercice du pouvoir, et qu’il incombait aux personnes impliquées d’expliquer leurs responsabilités respectives.

 

Ils ont présenté, sur une dizaine de pages, un bref historique des événements à partir de la célèbre VIIIe séance de 1987 jusqu’au 5 octobre 2000 et la chute du régime de Slobodan Milošević. Suivent 300 pages de présentation des personnes qui ont occupé des fonctions dirigeantes à cette période : prénom, nom, date et lieu de naissance, éducation et postes occupés.

 

Le principal défaut du livre consiste en ce que les raisons d’avoir considéré quelqu’un comme collaborateur de Milošević ne sont pas clairement exposées et critiquent notamment le manque de clarté de la méthodologie utilisée. Outre les fonctionnaires des partis politiques, la liste contient les noms d’acteurs, d’auteurs, d’hommes d’affaires, de magistrats, d’employés des forces de sécurité, d’accusés du TPI, de journalistes ainsi que la grande majorité des évêques de l’Église orthodoxe serbe, dont les anciens patriarches German et Pavle.

 

À titre d’exemple, le nom de Momir Bulatović figure sur la liste, mais pas celui de Milo Đukanović. Dragan Marković Palma et Borislav Pelević en sont également absents, même s’ils avaient fondé le Parti de l’unité serbe avec Željko Ražnatović dit Arkan, qui est lui sur la liste, comme son épouse Svetlana, plus connue sous sous son nom de scène, Ceca.

 

D’autre part, Milan Panić ou les acédémiciens Tibor Varadi et Ljubomir Tadić (le père du Président Boris Tadić) sont également cités dans le livre, alors même que ce dernier n’était que "membre de l’Académie serbe par correspondance".

 

 

Vuk Drašković, l’un des premiers à avoir organisé des manifestations contre Slobodan Milošević et qui a réchappé à un attentat dans lequel ont péri des cousins et collaborateurs, s’est lui aussi retrouvé sur la liste des collaborateurs de son plus grand opposant.

 

Le chef du Mouvement serbe du renouveau (SPO) a réagi publiquement à la parution de ce livre, le qualifiant de « honteux » et l’accusant d’être rédigé "dans la tradition communiste de manipulation de l’Histoire et de la falsification de la vérité. Il n’y a pas un mot sur la lutte du SPO et de l’opposition démocratique contre le régime Milošević qui a duré plus de dix ans. On ne mentionne ni le SPO ni moi-même comme organisateurs des manifestations du 9 mars 1991, encore moins mon arrestation".

 

"Le rassemblement de Vidovdan de 1992 est effacé, comme s’il n’avait jamais existé. Il en va de même pour les manifestations de juin 1993, mon arrestation et celle de mon épouse Danica, les violences que nous avons subies. Ces événements ont provoqué des réactions du monde démocratique. Le livre ne parle pas de la coalition Zajedno et de ses manifestations qui ont duré trois mois en 1996 et 1997. Il ne parle pas non plus du crime commis sur la route de l’Ibar en 1999, de la réunion fondatrice de DOS, qui s’est tenue au siège du SPO. L’attentat de Budva en juin 2000 est également oublié", fulmine Vuk Drašković.

 

Il ajoute que les "célèbres auteurs de la gauche" présentent sa carrière politique comme celle du vice-Premier ministre fédéral en 1999, et cela pendant deux mois.

 

Les hauts fonctionnaires du Parti socialiste de Serbie, Zoran Baki Anđelković, Radovan Raka Radović et Živadin Jovanović, qui ont occupé des positions dirigeantes dans les années Milošević n’ont pas de commentaire particulier concernant la parution du livre : ils ne voient rien de mal dans cette énumération de fonctions "publiques par définition".

 

Dragan Todorović, vice-président du Parti radical serbe (SRS) pense qu’il est plus important de voir quelles personnes gardent toujours les mêmes fonctions et si elles représentent les mêmes idées que dans les années 1990.

 

Certains sont fiers de s’être retrouvés sur la liste. C’est le cas d’Aleksandar Vulin, président du Mouvement socialiste. "J’étais un des fondateurs de la Gauche yougoslave (JUL). Cependant, les auteurs ont omis de mentionner que j’avais quitté ce parti en 1998 : je ne voulais pas faire parti du pouvoir parce que la JUL n’était plus ce que nous avions souhaité".

 

Nebojša Bradić, ancien ministre de la Culture, est présenté dans le livre comme directeur de plusieurs théâtres. Il pense que c’est une édition à valeur documentaire importante qui aidera les futures analyses. "Je connaissais Biljana Kovačević Vučo en personne et j’avais beaucoup de respect pour son engagement. Je ne vois rien de mal dans le fait que je me sois retrouvé dans ce livre. Tout le monde connaît les conditions de mon licenciement du poste de Directeur du Théâtre populaire de Belgrade en 1999", dit-il.

 

 

Les journalistes qui ont été mentionnés semblent les plus révoltés. Pour Dušan Miklja, journaliste et écrivain, faire partie du métier ne signifie pas adhérer au régime au pouvoir. Il dit croire en la bonne foi des auteurs du livre, mais ne ne pas comprendre leur critères de classement. "On a l’impression que nous avons tous été puissants et influents, ce qui n’est pas vrai. Je crois avoir plus contribué à la démocratie en Serbie que certains combattants autoproclamés, indique Dušan Miklja, ancien journaliste de Duga et correspondant de Tanjug à Bruxelles et New York.

 

Milomir Marić souligne de son côté qu’il attendait beaucoup plus de ce livre qui ne fait qu’énumérer les fonctions. "J’ai fait mon travail, j’étais le premier journaliste victime de violence physique en Serbie : Arkan menaçait de me tuer. Duga faisait l’objet de menaces constantes, j’a été sanctionné par la Loi sur l’information de l’époque... Et je me retrouve dans un groupe constitué des personnalités criminelles", soupire-t-il.

 

Aleksandar Tijanić, directeur général de la Radio-Télévision serbe (RTS) partage la position du rédacteur en chef de Danas, considérant lui aussi que ce livre présente des défauts et que sa méthodologie n’est pas claire.

Miloš Vasić, journaliste historique de Vreme qui a collaboré à la rédaction du livre, explique que celui-ci ne présente pas une liste noire, mais la nomenclature du régime de Slobodan Milošević.

 

Selon lui, ceux qui sont révoltés de s’y retrouver "auraient dû réfléchir avant de commencer à coopérer avec Slobodan Milošević". Cependant, il ajoute que la liste contient des noms de personnes honnêtes qui se sont retrouvées à certains postes au mauvais moment et qui ont fini par réparer leurs erreurs, à l’image du dernier Premier ministre yougoslave, Ante Marković, ou du général Aleksandar Vasiljević.

 

Hormis les patriarches German et Pavle, le métropolite serbe au Monténégro Amfilohije et une dizaine d’évêques de l’Église orthodoxe serbe figurent sur la liste des collaborateurs. Parmi eux, seul l’évêque de Mileševa, Filaret (Jelenko Mićović), a exercé une fonction publique : il était vice-ministre des Religions entre 1999 et 2000.

 

Principales cibles des critiques : la méthodologie et la forme de l’ouvrage.

Selon la plupart des analystes, cette sorte de Who’s Who serbe pour la période Milošević est nécessaire aux futures analyses théoriques et historiques, mais ce premier essai n’est pas tout à fait réussi. Dušan Janjić, analyste politique, considère que le livre est néanmoins utile, parce qu’il incite au débat indispensable à la détermination de l’avenir du régime de Slobodan Milošević après les changements politiques.

 

"Il est évident que les critères utilisés pour le classement ont été flexibles, et on y voit les intentions personnelles des auteurs. Les seuls évêques de l’Église orthodoxe serbe qui méritent de s’y retrouver sont Filaret et Kačavenda, évêque de Zvornik et de Tuzla, pour avoir participé de façon active dans la vie politique", estime Dusan Janjić. D’après lui, de nombreuses personnalités du monde artistique n’auraient pas dû être mentionnées, comme l’écrivain Dobrica Erić, le présentateur Milovan Ilić Minimaks ou l’acteur Aleksandar Berček.

 

"Il est bien connu que les acteurs et les représentants du monde des variétés sont toujours attrayants pour les politiques. Si le livre énumère tous ceux qui ont fait venir Milošević et qui l’ont soutenu, il faudrait y introduire au moins la moitié des nouveaux riches", raille-t-il.

 

Zoran Stoiljković, professeur à la Faculté de sciences politiques de Belgrade, pointe la méthodologie comme le point le plus problématique du livre. Cet ouvrage ressemble à un inventaire et devrait plutôt être présenté comme un registre, juge-t-il. Ognjen Pribićević, de l’Institut des sciences sociales de Belgrade, partage son avis, tout en soulignant que ce livre ouvre la question de la lustration, qui aurait dû être résolue dès 2000-2001, selon lui.

 

"Nous avons raté nos chances pour la lustration à ce moment-là parce que les dirigeants des différents partis étaient plus intéressés par le pouvoir que par la construction du nouveau système. La justice qui ne vient pas immédiatement ne vient pratiquement jamais. Le régime de Slobodan Milošević a été le plus critiqué de l’histoire serbe et ses conséquences se feront encore sentir dans les trente prochaines années", estime Ognjen Pribićević. Il rappelle que l’Institut des sciences sociales a publié Relations interethniques au service de la réconciliation, un ouvrage qui parle de la confrontation avec le passé, indispensable au progrès de la région.

 

Thierry Cayol (avec Danas).

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