Contre toute attente, l'Italie de Berlusconi vient de réclamer un cessez-le-feu en Libye, ce qui met Sarkozy en furie, d'autant que Kadhafi est de plus en plus lâché par ses amis. Derniers en date, les Chinois, qui viennent de lui infliger un revers diplomatique en revant à Pékin Mahmoud Djibril, le "ministre des affaires étrangères du Conseil national de transition (CNT), mis sur pied par les opposants de Benghazi.
La nouvelle est très amère pour Kadhafi car le chef de la diplomatie chinoise, Yang Jieshi, a affirmé que, désormais, pour pékin, les insurgés lybiens sont des "interlocuteurs importants". Jusqu'ici, on consdérait les réticences de la Chine à apporter son entier soutien aux Occidentaux qui veulent chasser Kadhafi du pouvoir comme l'un des facteurs du maintien du "Guide", en dépit des raids aériens de l'OTAN.
La position chinoise, qui se veut ferme, pourrait signifier que Pékin considère désormais que les jours de Kadhafi sont comptés. Le revirement chinois pourrait aussi inspirer la Russie et ouvrir la voie à l'adoption d'une résolution susceptible de pousser la coalition à vouloir en finir définitivement avec le leader lybien. La récente réelection de Ban Ki-Moon pourrait même faciliter les choses. Comme il le reconnait lui-même, Kadhafi a aujourd'hui le dos au mur. A ce jour, une dizaine de gouvernements ont reconnu le CNT. Toutefois, le chef de la Jamahirya lybienne populaire et socialiste a aussi des alliés dans le camp occidental.
En effet, s'exprimant devant la chambre des députés à Rome à propos du dossier lybien, le chef de la diplomatie italienne a souligné mercredi qu'un cessez-le-feu constituerait la première étape d'une négociation politique. Selon lui, un gel de l'activité est aussi "fondamental pour permettre une aide médicale immédiate". Ces propos du camp Berlusconi ont vivement contrarié Français et Britanniques.
Au Quai d'Orsay, le porte-parole du ministère français des affaires étrangères, Bernard Valero, a soutenu qu'il fallait intensifier la pression sur Kadhafi. Pour lui, "toute pause dans les opérations risquerait de lui permettre de gagner du temps et de se réorganiser". un porte-parole de David Cameron, le premier ministre anglais, a lui aussi réaffirmé que, pour le moment, la bonne approche est "d'accentuer la pression sur Kadhafi".
Des divergences existent donc au sein de la coalition internationale. Elles s'intensifient au fur et à mesure que se dessine l'après-Kadhafi. Les tâches de reconstruction et de contrôle des puits de pétrole aiguisent les appétits. Or, on le sait, les Occidentaux ne s'engagent pas et ne s'empressent pas pour rien dans les dossiers internationaux.
Certains d'entre eux ont des appétits d'ogres. De quoi semer la panique dans les rangs. Sinon, comment expliquer les récentes sorties des ministres de Berlusconi à propos de la Lybie. Ces derniers temps, une certaine anxiété est perceptible à Rome.
L'Italie, ancienne puissance coloniale, chercherait-elle à préserver son pré carré à la veille du départ du leader lybien? Difficile en tout cas d'ignorer les liens politiques et économiques entre les deux pays, en particulier la présence de pro-Kadhafi dans les milieux d'affaires italiens. On se souvient qu'un des fils de Kadhafi avait des actions dans un grand club de football italien.
Quel deal peut-il bien y avoir entre Berlusconi et Kadhafi? Le président du Conseil italien aurait-il trouvé un compromis avec le "Guide" pour mettre fin à la guerre, tout en redorant son blason terni en ce moment dans l'actualité italienne? Dans cette hypothèse, jusqu'où Berlusconi srait-il prêt à aller? Offrir l'asile au colonel lybien???
Le camp Berlusconi rejoint ainsi l'Union Africaine (UA) dans ses incohérences. L'organisation panafricaine a toujours estimé qu'en l'absence de résultats militaires, les puissances occidentales devraient accepter son propre plan, qui prévoit lui aussi un cessez-le-feu. Par ailleurs, l'Organisation de la Conférence Islamique (OCI), qui réunit 57 Etats, a aussi dépêché une mission de médiation qui se rendra à Tripoli et Benghazi.
Mais quels facteurs ont-il pu à ce point influencer Berlusconi dans sa prise de position? Le pétrole lybien? la situation en Italie, qui ne lui est guère favorable? l'inconfortable situation de Sarkozy dans les sondages? Sans doute y verra-t-on plus clair bientôt. Après le départ de Kadhafi...
Thierry Cayol (avec Le Pays)